Il est censé se passer quelque chose…

Lorsqu’un client rencontre un coach de vie et accepte d’être accompagné, il est censé se passer quelque chose, n’est-ce pas ? En premier lieu l’accompagné exprime une demande. L’accompagnant accueille avec considération cette personne qui exprime une demande. Une relation s’instaure alors, et l’un comme l’autre aspire à ce que « quelque chose » advienne. Cette « chose » ne peut émerger que de l’accompagné certes, mais à condition qu’un côte à côte avec l’accompagnant soit possible. Mais surtout, la situation est paradoxale dans le sens où l’accompagné demande précisément à l’accompagnant ce qu’il ne possède pas : la réponse à sa demande.

Cette caractéristique relationnelle, curieuse de prime abord, installe une dialectique propice à l’accompagnement. Quelque chose va passer par là grâce au mouvement induit par la nature de cette interaction mais toujours sur la base d’une relation respectueuse, sans jugement, sans a priori. Car il faut signaler d’emblée que ce qui est censé se passer ne sera possible que par la mise en place d’un espace ouvert, confiant, interpelant conjointement l’un et l’autre. L’un dans sa recherche d’une réponse, voire d’une solution, l’autre en tant que témoin accueillant et bienveillant de ce qu’il entend et reçoit en partage.

Le client s’attend le plus souvent à être pris en charge. En coaching de vie cela ne sera pas le cas. Le professionnel est interpelé certes sur sa compétence présumée à l’accompagnement, mais il n’apportera pas de solution toute faite… Nous pourrions croire qu’il y a maldonne mais c’est précisément ce décalage qui favorise le questionnement, l’échange et la pensée réflexive chez le client.

Les conditions qui s’installent ne sont pas celles d’un dialogue et d’une conversation habituelle. Le coaching de vie appelle à une relation d’une autre nature. Et grâce à l’absence d’une solution toute faite émise par le professionnel, l’accompagné se met en recherche en lui-même d’une parole qui tente de produire du lien et du sens. S’élabore ainsi un travail qui invite la personne à ouvrir un chantier intérieur et à le prolonger tant qu’une réponse extérieure ne vient pas le clôturer ! Cette mise en questionnement contient une espérance, celle d’accoucher d’une perspective nouvelle.

Pour qu’il se passe quelque chose, il y a nécessité de produire en premier lieu de l’espace, de l’écart, de l’ouverture. Et c’est précisément au cœur de cet entre-deux que va résonner une parole. Elle sera émise par l’accompagné, accueillie par l’accompagnant, et quelque fois ce dernier invitera le client à reformuler ce qui lui parait important, juste, voire essentiel. Réentendre ses propos, les laisser résonner en lui, créent de nouveaux mouvements intérieurs qui à leur tour permettent à une parole autre, différente, de jaillir. C’est la création d’un lieu commun où ça se passe, ça se dit et ça s’entend autrement, différemment.

C’est à l’intérieur de ce lieu commun, de ce lieu partagé, que se questionne en mode créateur l’accompagné. C’est un pari que la relation d’accompagnement lance… Qui dit pari, dit risque : celui précisément d’établir une relation autre, d’intégrer pleinement son histoire, de l’actualiser, de poser un regard différent sur ce qui se passe.

Mais comment créer cet écart ? Cette question interpelle de suite la posture de l’accompagnant. Ce dernier, en renonçant à faire valoir son savoir, ce qui est bon pour l’autre, à pratiquer une ingérence même animée par les meilleures intentions du monde, engage un retrait. Ce retrait est à l’origine de l’écart. C’est le non faire de l’accompagnant à la place de l’autre qui offre la ressource à l’accompagné de se risquer à ses propres perceptions, hypothèses et perspectives.

Le client savait-il que depuis l’instant de la demande formulée en début de mission de coaching, le mouvement d’exploration et d’investigation en lui était mobilisé ?

Créer de l’écart face à un mouvement d’exploration induit, pour l’accompagnant, de reculer, de renoncer à occuper du terrain, de laisser une partie de celui-ci en jachère.

Etre là, pleinement, en présence et accompagner le mouvement d’investigation de l’accompagné est, à son tour pour l’accompagnant, un risque et un pari. « Laisser naturellement advenir » (1) dans cet écart ce qui ne pouvait sereinement se manifester auparavant, tel est le pari de l’accompagnant.

C’est dans l’oubli de faire quelque chose que précisément quelque chose peut advenir ! Ce qui advient ne peut être quelque chose de voulu, de préparé, d’organisé. Ce qui advient n’est jamais le résultat attendu. C’est le signe que ce qui advient est autre, différent, non prévisible… Le risque pour l’accompagnant est d’accepter de vivre ce renoncement, surtout ce que cela induit de ressentir : de l’impuissance.

C’est ce qui échappe à la maîtrise et au savoir qui ouvre sur quelque chose d’autre. La relation d’accompagnement, en incluant la mise en retrait du savoir pour l’autre, crée du jeu et de l’écart.

L’accompagnement est un dispositif qui engendre de l’incertitude, quelque fois du désordre, pour une possible transformation… Après tout, l’incertitude n’est-elle pas propre à la relation à l’autre ? S’engager dans une relation d’accompagnement expose, implique, déséquilibre l’un comme l’autre. Pour le professionnel, il doit se préparer en éclairant ses zones d’ombre et accepter d’être continuellement questionné là où la conscience n’a pas encore été invitée. Pour l’accompagné, il est confronté à l’incertitude, à ce qui le bouscule quelque fois, le déplace régulièrement, et à cette effervescence créative qui l’ouvre sur de l’au-delà, sur du différent, de l’inconnu.

Il est censé se passer quelque chose lorsque l’accompagné s’ouvre à lui-même et crée du lien entre la situation présente et ce qui émerge. Accompagnant et accompagné, en accueillant et en acceptant ce qui les dépasse l’un et l’autre, créent un lieu dans lequel la relation à l’autre devient l’essence même de l’évolution et de la transformation.

Roger DAULIN   Superviseur

  • Expression empruntée à François JULLIEN

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